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LES FORTIFS


1- Origine de la ceinture

Création site internet : www.laurentbaziller-graphiste.fr

Le traumatisme de l’entrée des troupes russes à Paris, 31 mars 1814

Contourner l’espace urbanisé en 1840 et conserver des terres agricoles


Le débat qui se mène au début du XIXe siècle sur la défense à donner à la capitale française est totalement déterminé par le souvenir et le traumatisme de la défaite de Napoléon et de l’entrée dans Paris des Coalisés le 31 mars 1814. Alors que la faiblesse relative de la France la rend vulnérable, plusieurs systèmes défensifs de conceptions opposées sont soumis à une chambre des députés très partagée sur le sujet.

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Les fortifications de Paris entre la poterne des Peupliers et la porte d’Italie avec les bastions nos 85 à 88, fin du XIXe siècle

Finalement, le mur continu et ses forts détachés complémentaires seront votés. La loi du 3 avril 1841 prévoit une enceinte continue embrassant les deux rives de la Seine, bastionnée et terrassée, avec dix mètres d’escarpe.

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Fortifications, Lucien-Gilbert Darpy, 1919

Elle sera revêtue et des ouvrages extérieurs casematés. Leurs constructions sont menées en cinq années, sous la direction du Génie.

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Soldats et cantinière aux fortifications, Louis-Émile Benassit, 1871

Le tracé du mur ne s’appuie sur aucune des défenses naturelles de la capitale et répond à deux principes : contourner l’espace urbanisé en 1840 et conserver des terres agricoles pour permettre à la capitale de supporter un siège.

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Nourrisseurs laitiers un dimanche devant le viaduc d’Auteuil et les fortifications, Paul Geniaux, 1895

La loi du 30 mars 1831 sur l’expropriation (conçue pour favoriser le développement des chemins de fer) permet d’exproprier les terrains qui ont pour l'essentiel une vocation agricole, beaucoup plus rarement industrielle ou d’habitation. À l’exception des exploitations de carrières (liées à l’industrie de la construction), dans le sud de l’agglomération, on exproprie avant tout des maraîchers, des agriculteurs ou des propriétaires de résidence de loisir.

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Profil de l’enceinte de Thiers

On construira une enceinte de 38 661 mètres, flanquée de 95 bastions numérotés dans le sens inverse des aiguilles d’une montre à partir de Bercy et percée d’une cinquantaine de portes et poternes.

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Porte d’Arcueil - Zone de servitude. Fortifications militaire, XIVe arrondissement, Eugene Atget, 1899

L’emprise de 140 mètres de large correspond à la route militaire et au mur continu, doublé d’un fossé, d’une contrescarpe et d’un glacis. Au-delà, la zone non ædificandi s’étend sur 250 mètres de large. La croissance urbaine se fait de part et d’autres de cette zone, qui double donc la ligne des fortifications, interdisant aux communes de banlieue de s’intégrer dans la continuité de l’agglomération parisienne. Une douzaine de forts détachés, établis à quelques kilomètres en avant du mur continu, servent de casernes et d’arsenaux en temps de paix.

« Où finira Paris ? Paris est un fleuve de pierres, qui tend, chaque jour, à sortir de son lit […] C’est en vain, croyez-le, qu’on essaie de resserrer Paris dans une enceinte continue. » Charles Nodier, 1845


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Modifications de circonscriptions territoriales nécessitées par l’extension des limites de Paris, 1859. On remarque que les nouvelles fortifications passent par des zones faiblement urbanisées et que certaines communes on été sérieusement amputées d’une partie de leur territoire. La double numérotation d’arrondissement serait due au fait que les habitants du XVIe ne voulant pas être ceux du XIIIe (jugé péjoratif à cause de l’expression se marier à la mairie du XIIIe) on dut inverser les numéros.

La limite entre la ville contenue à l’intérieur de l’enceinte des Fermiers Généraux et le département de La Seine (sur lequel chemine l’enceinte de Thiers) forme un territoire externe aux limites municipales, qui ne sera annexé qu’en janvier 1860, alors que l’annexion de la zone non aedificandi de 250 mètres qu’Haussmann aurait souhaité exproprier et transformer en ceinture verte est rejetée.

Belleville, Village aux environs de Paris, au Nord-Est, Veu sur le haut de la montagne, Gueroult, 1707

Belleville, Village aux environs de Paris, au Nord-Est, Veu sur le haut de la montagne, Gueroult, 1707

Église Saint-Alexandre de Grenelle, 1866

Église Saint-Alexandre de Grenelle, 1866

La barrière de la Villette ou barrière Saint-Martin, Bernard-Edouard Swebach, 1820

La barrière de La Villette ou barrière Saint-Martin, Bernard-Edouard Swebach, 1820

École libre de L'immaculée Conception (Vaugirard), Charles-Claude Bachelier, 1875

École libre de L’immaculée Conception (Vaugirard), Charles-Claude Bachelier, 1875

L’enceinte va intégrer entièrement les villages de Belleville, Grenelle, La Villette et Vaugirard (voir ci-dessus).

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Vue du nord parisien depuis la butte Montmartre

Talus sous la neige au Pré-Saint-Gervais, Lucien-Gilbert Darpy - 1919

Talus sous la neige au Pré-Saint-Gervais, Lucien-Gilbert Darpy, 1919

La plaine Saint-Denis, 1825

La plaine Saint-Denis, 1825

Elle passera à travers des terrains relativement ruraux et peu peuplés, comme le montrent cette vue du nord parisien depuis la butte Montmartre, ce talus sous la neige au Pré-Saint-Gervais ou encore ce panorama de la plaine Saint-Denis (voir ci-dessus).

Certains de ces terrains seront partagés entre Paris et sa (ou ses) commune(s) voisine(s) :

L’ancienne gare d’Auteuil, 78 rue d’Auteuil, 16e arrondissement, Jules-Adolphe Chauvet, 1891

Auteuil avec le XVIe et Boulogne (l’ancienne gare d’Auteuil, 78 rue d’Auteuil, 16e arrondissement, Jules-Adolphe Chauvet, 1891)

Église des Batignoles, Léon Leymonnerye, 1864

Batignolles-Monceau avec le XVIIe et Clichy (Église des Batignoles, Léon Leymonnerye, 1864)

Vue des environs de Bercy, Martial Deny

Bercy avec le XIIe et Charenton-le-pont (Vue des environs de Bercy, Martial Deny)

Saint-Germain de Charonne, Étienne Bouhot, 1836

Charonne avec le XXe, Montreuil et Bagnolet (Saint-Germain de Charonne, Étienne Bouhot, 1836)

Village de La Chapelle près Paris, 1786

La Chapelle avec le XVIIIe, Saint-Ouen, Saint-Denis et Aubervilliers (Village de La Chapelle près Paris, 1786)

Montmartre avec le XVIIIe et Saint-Ouen (Vue de Montmartre, Eugène Lavieille, 1848)

Montmartre avec le XVIIIe et Saint-Ouen (Vue de Montmartre, Eugène Lavieille, 1848)

Passy et Chaillot vus de Grenelle, Charles-Léopold Grevenbroeck, 1743

Passy avec le XVIe et Boulogne (Passy et Chaillot vus de Grenelle, Charles-Léopold Grevenbroeck, 1743)

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Dire que nous v’là parisiens ! - Daumier, 1860

Enfin, douze communes sont partiellement annexées : Aubervilliers, Bagnolet, quartier de Glacière et de Maison-Blanche (Gentilly), quartier de Javel (Issy), quartier de la Gare (Ivry), quartier du Petit-Montrouge (Montrouge), quartier des Ternes (Neuilly), Pantin, le Pré-Saint-Gervais, Saint-Mandé (Vincennes), Saint-Ouen et Vanves, tandis que quatre, toutes situées au-delà des fortifications, s’agrandissent – Saint-Denis, Boulogne, Montreuil et Charenton-le-Pont – et que les quatre dernières à la fois gagnent et cèdent des terrains – Clichy, Saint-Ouen, Aubervilliers et Bagnolet.

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Paris voulant englober la banlieue, Charles Vernier, 6 novembre 1858

Les vingt arrondissements sont créés, les anciens arrondissements sont redécoupés, sur des limites nouvelles, et le numérotage en spirale est appliqué. Paris double sa superficie et gagne près de 350 000 habitants, mais l’enceinte de Thiers se révèle être immédia­tement obsolète aussi bien en terme de développement urbain que d’un point de vue défensif. Dans les années 1840, beaucoup de villes d’Europe commencent à démanteler leurs fortifications inutiles, les détruisent et les remplacent par des systèmes de parcs. En 1841, Paris compte 935 261 habitants et 1 696 141 en 1861. Ce chiffre montera jusqu’à 2 906 472 en 1921 pour se stabiliser en 2019 à 2 141 000.

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La bonne ville de Paris et ses nouveaux enfants, Charles Vernier, 31 janvier 1860

Mais certains habitants protestent, des habitants de Billancourt, ne veulent pas être rattachés à Boulogne, tandis que des Bellevillois contestent la scission de leur ancienne commune en deux arrondissements parisiens distincts, les actuels XIXe et XXe. D’autres remarquent que dans le les mairies ne seront plus au centre des circonscriptions et se plaignent de l’allongement des trajets que les auront à effectuer au péril de leur vie pour être présentés à l’officier d’état civil. Les habitants des communes sérieusement amputées au profit de la capitale, comme Montrouge, Gentilly, Saint-Mandé ou Le Pré Saint-Gervais, déplorent quant à eux de voir leur territoire perdre des contribuables et se plaignent d’être dépouillés de leur mairie, de leurs écoles ou de leurs commerces. Les doléances enregistrées rappelent que le futur empereur avait pris l’engagement écrit en novembre 1852 de ne pas déplacer les barrières de l’octroi parisien.

Le Pré Saint-Gervais débouché d'une ruelle sur le futur boulevard périphérique 1943 bibliotheques-specialisees.paris.fr

Le Pré Saint-Gervais, débouché d’une ruelle sur le futur boulevard périphérique, 1943 bibliotheques-specialisees.paris.fr

L'impact des fortifications sur le territoire communal du Pré Saint-Gervais

L'impact des fortifications sur le territoire communal du Pré Saint-Gervais

L'exemple du Pré Saint-Gervais (moins de 140 hectares) traversé par les fortifications témoigne d'une situation juridique complexe. 20 % du territoire communal est occupé par les fortifications qui séparent matériellement une partie de la commune, située à l’intérieur de la muraille. Même réduite à 250 mètres, la zone non aedificandii>, grève l'espace de servitudes militaires et occupe près d’un tiers de la superficie. Le territoire de la commune est donc morcelé en quatre espaces sociaux et juridiques qui définissent une série de frontières internes et influent sur le développement urbain au moment même où l’agglomération parisienne passe d’un à deux millions d’habitants entre 1836 et 1866.

« Les murailles et les bastions et les forts, et les carpes ou contrescarpes me pèsent sur la poitrine (...) Quelle geôle, quel bagne » George Sand, lettre à Hortense Allart, janvier 1841


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Gare et usines à Saint-Denis, Maurice Fallies, XIXe siècle

Au-delà du simple transfert des grands établissements industriels en banlieue, l’implantation des nouvelles technologies comme l’automobile, l’aviation ou les constructions électriques fait de certaines communes de la banlieue ouest et nord, Boulogne-Billancourt, Puteaux, Saint-Denis, des technopoles de pointe ; le faubourg Saint-Antoine et le XXe arrondissement se prolongent vers Montreuil avec les métiers du bois et du meuble ; les activités de La Villette se dispersent entre Pantin et Aubervilliers, autour du traitement des déchets des abattoirs, de la chimie organique et de synthèse, etc.

Ailleurs, d’autres facteurs sont également à l’œuvre comme les logiques résidentielles dans le prolongement des sites de villégiature, des quartiers bourgeois ou mixtes, associant résidence et activités artisanales, comme au-delà des Batignolles – vers Asnières et Colombes – ou dans la boucle de la Marne dans le prolongement de Nogent ou de Saint-Mandé – communes de la première couronne. La banlieue qui s’étend maintenant au-delà des fortifications et de la zone est livrée à elle-même, ignorée par la puissance publique. Ses espaces libres accueillent les entrepôts, la grande industrie, puis le logement des classes populaires urbaines que se partagent les deux offices publics d’HBM, celui de la Ville de Paris et celui du département de la Seine.

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Département de la Seine à l’usage des écoles primaires, 1884

Aux XIXe et XXe siècles, la capitale n’a pas hésité à contrarier la banlieue en y déversant ses ordures, ses eaux usées, en annexant sa zone et en y expatriant ses morts, ses mendiants, ses fous, ses délinquants jusqu’à ses locataires de logements sociaux. Pourtant, le dynamisme intercommunal et départemental du Grand Paris donne naissance à des réalisations exemplaires. Les politiques intercommunales du gaz, de l’électricité, de l’eau, les cités jardins du conseil général de la Seine, ses dispensaires, ses écoles de plein air et ses hôpitaux font la fierté des élites locales. Pendant plus de 170 années, ce Grand Paris existe sous les traits du département de la Seine (la capitale et les 80 communes l’encerclant). Le Grand Paris n’est donc pas une invention du temps présent. Redécouvert au tournant des années 2000, ce modèle de gouvernement local s’achève avec l’adoption de la loi du 10 juillet 1964 qui désolidarise la capitale de sa proche banlieue.